Journée sans tabac Puffs, pouches et billes de nicotine : les cigarettiers à la conquête des jeunes
En bref
- Puffs, sachets ou billes de nicotine, snuss... Ces produits fortement dosés en nicotine et souvent inconnus des parents, sont en passe de ringardiser la cigarette classique.
- En 5 ans, le nombre de fumeurs quotidiens âgés de 17 ans a considérablement diminué (15,6% en 2022 contre 25,1% en 2017) selon Santé Publique France.
- À l’occasion de la journée mondiale sans tabac, le 31 mai 2025, Emmanuel Ricard, porte-parole de la Ligue contre le cancer et médecin de santé publique, analyse les nouvelles pratiques de consommation des 15-25 ans.
L’industrie du tabac a-t-elle abandonné l’idée de faire fumer les jeunes ?
Emmanuel Ricard, porte-parole de la Ligue contre le cancer et médecin de santé publique : Chaque génération tente de se distancier des pratiques de leurs aînés, de s’inscrire en rupture pour s’affirmer. Et cela s'applique aussi au tabac qui, dans sa forme traditionnelle, est devenu quasiment has-been aujourd’hui chez les jeunes. La conséquence aussi des campagnes d'information menées par les associations comme la Ligue contre le cancer visant à ringardiser la consommation. Sans compter sur la politique de neutralisation des paquets et la hausse considérable des prix du tabac ces dernières années. L’industrie cherche donc à séduire ce nouveau public avec des produits plus « tendance » : puffs (cigarettes électroniques jetables), sachets de nicotine, perles, etc. Ils sont pensés pour plaire à la nouvelle génération : saveurs sucrées, design coloré et packaging inspiré de la pop culture asiatique. Ces produits jouent sur des codes visuels très « girly », sportifs ou esthétiques pour paraître inoffensifs, voire glamour. Mais l’objectif reste le même : créer une addiction à la nicotine dès le plus jeune âge. En installant cette dépendance, l’industrie s’assure de garder une base de consommateurs à long terme, qui pourra ensuite basculer vers d’autres formes de consommation.
Ces nouveaux produits sont-ils dangereux ?
Les dangers ne sont pas les mêmes. Il faut du temps aux chercheurs pour apprécier la dangerosité de chaque nouveau produit. Avec quelques années de recul, on comprend déjà que les produits de vapotage contiennent de nombreuses particules fines qui, une fois inhalées, pénètrent les poumons et peuvent provoquer des inflammations chroniques. Les effets sont encore mal connus, mais certaines études montrent des risques respiratoires et allergiques. Quant aux sachets ou perles de nicotine, ils sont très fortement dosés. Absorbés par la muqueuse buccale, ils créent un « effet flash » comparable à celui de la cigarette. Ce pic rapide de nicotine augmente les risques de dépendance à cette drogue. Le problème, c’est que ces produits échappent souvent à la réglementation classique du tabac, notamment en matière de dosage, d’étiquetage et de marketing. C’est comme ça que l’on a pu voir, affichée sur la façade d’une église parisienne, une gigantesque promotion pour le deuxième plus grand fabricant de cigarettes au monde, British American Tobacco, présentant ses produits nicotinés comme une aide anodine de réduction du tabac. Cette promotion passe aussi désormais par les réseaux sociaux. Une étude de l’Alliance contre le tabac a en effet révélé que plus de 200 influenceurs ont été rémunérés, depuis 2019, pour mettre en avant ces produits. Parfois, il ne s’agit même pas de promotion directe : le simple fait de vapoter dans une story ou d’avoir une puff à la main suffit à normaliser le geste. Une pratique illégale sur le papier, mais en pratique, si le produit est intégré à une mise en scène personnelle, c’est difficile à sanctionner. Il s’agit là d’un marketing d’influence très subtil, qui vise à installer une norme : vapoter ou consommer de la nicotine devient quelque chose de « normal », voire désirable.
La loi peut-elle suivre le rythme de l’innovation de l’industrie du tabac ?
C’est extrêmement difficile. La réglementation est souvent en retard sur la réalité du marché. Dès qu’un produit est interdit, comme les puffs, récemment, l’industrie en sort un nouveau : même look, mais rechargeable, par exemple. Elle joue aussi sur les failles législatives : si un produit n’est pas explicitement qualifié de “produit du tabac”, il échappe à certaines régulations. À chaque innovation, il faut repartir de zéro. Et l'on peut faire confiance au parti adverse pour sa créativité. En attendant, il est essentiel de dénormaliser la consommation de ces produits. Plus un produit est aperçu, au cinéma, sur les réseaux sociaux, ou dans des vidéos en ligne, plus il est considéré comme banal, inoffensif et attractif. L’industrie du tabac cherche donc à faire de ces produits une norme sociale pour les jeunes. À nous de créer un environnement dans lequel la consommation de nicotine redevient une exception, pas une habitude. Nous militons donc pour une interdiction de l’usage de la cigarette électronique et des produits nicotinés autour des établissements accueillant des mineurs : écoles, collèges, lycées, établissements sportifs... Ensuite, il convient de surveiller davantage le cinéma, les séries et les réseaux sociaux, où ces produits apparaissent de plus en plus, est essentiel.