Insolite Sur TikTok, les médecins détournent les fake news pour mieux informer
En bref
- Des conseils de santé inefficaces, mais parfois dangereux, circulent sur les réseaux.
- Le syndicat de jeunes médecins ReAGJIR combat les fake news sur les réseaux sociaux.
- Son président, Raphaël Dachicourt, explique qu’en matière de santé, le like ne remplace pas l’expertise.
Pourquoi avez-vous créé Healthbuster5, un compte TikTok de détournement de vidéos d'influenceurs ?
Dr Raphaël Dachicourt, président du syndicat de jeunes médecins généralistes ReAGJIR : « En matière de santé, les réseaux parallèles d’information ont toujours existé. Mais là où les adultes plus âgés ont un contact régulier avec les soignants, notamment via le suivi des pathologies chroniques, les jeunes sont plus difficiles à atteindre. En consultation, ils osent moins aborder certains sujets, et privilégient d’autres canaux d’information. Les réseaux sociaux, en particulier, occupent une place centrale : c’est là qu’ils s’informent massivement, mais ils ont du mal à avoir un regard critique parce qu’on leur assène des vérités. Des éléments ayant l’apparence de vérités. L’idée de notre démarche était de sortir de nos cabinets pour aller sur leur terrain de jeu, les réseaux sociaux, pour porter ce message : en matière de santé, il faut apprendre à se méfier de ce qu’on trouve sur Internet. »
Quels faux conseils vous ont particulièrement alertés et comment sélectionnez-vous ceux à déconstruire ?
Dr Raphaël Dachicourt : « Il y a beaucoup de croyances autour du naturel, de la purification ou de l’élimination des toxines. Certains prônent l’ingestion de produits censés nettoyer l’organisme. Le pire exemple reste celui de la térébenthine, un produit d’entretien toxique, absolument pas comestible. Nous avons d’abord exploré nous-mêmes TikTok et aussi Instagram pour identifier les trends (tendances sur les réseaux sociaux, NDLR). Notre critère principal est la dangerosité, car il y aurait trop à dire sur les simples inefficacités. L’objectif est de cibler des conseils non seulement inutiles, mais surtout dangereux, avec des impacts graves sur la santé. Nous avons retenu des sujets récurrents, même si les vidéos n’étaient pas toujours les plus vues. Ce qui compte, c’est lorsque les discours sont les plus affirmatifs avec une dangerosité avérée. Et puis, comme on utilise la technologie du deep-fake, le format impose des contraintes techniques : il faut des vidéos adaptées. »
Les influenceurs vous ont-ils répondu ? Quel accueil avez-vous reçu de la part des jeunes ?
Dr Raphaël Dachicourt : « La campagne a été lancée début mars, pour le moment, on a eu aucun retour des influenceurs concernés. En revanche, le projet commence à prendre grâce à sa diffusion dans la sphère médicale. Nous voyons des professionnels de santé utiliser nos vidéos pour sensibiliser les jeunes. Par exemple, une infirmière scolaire nous a dit utiliser nos vidéos pour sensibiliser ses élèves. La réappropriation par des professionnels et des parents est un relais intéressant. Nous pensions toucher directement les jeunes, mais c’est difficile à évaluer. Le nombre de vues ne reflète pas nécessairement l’impact réel. Et puis nous sommes un syndicat de jeunes médecins généralistes, pas des influenceurs. Notre objectif n’est pas d’obtenir des vues ou des likes, mais que le message passe : les professionnels de santé s’inquiètent et veulent apprendre au public à se méfier des informations non vérifiées. Dans cette démarche participative, les gens peuvent également nous signaler des contenus suspects en nous taguant. Nous nous engageons à regarder les contenus et, si un danger est avéré, à nous pencher un peu plus dessus et à créer si nécessaire une vidéo débunk. »
Pourquoi avoir opté pour la technique du deepfake et manipuler des vidéos d’influenceurs ?
Dr Raphaël Dachicourt : « Nous sommes un syndicat de jeunes médecins, âgés entre 28 et 35 ans. Ayant grandi avec les réseaux sociaux, on comprend à quoi les jeunes peuvent être exposés. Personnellement, j’ai un compte TikTok et il m’est déjà arrivé de tomber sur ce type de contenus. Cela nous a donné la légitimité d’agir. L’utilisation du deepfake s’est imposée comme une accroche efficace : berner brièvement l’utilisateur avant de révéler le pot aux roses pour montrer combien il est facile de se faire tromper sur ces plateformes. Nous voulons créer un lien de confiance avec les jeunes, de leur dire que notre porte est toujours ouverte – pas seulement celle des médecins, mais aussi de tous les professionnels de santé. »